MUSIC FOR PIANO 4-84 OVERLAPPED
A l’instar des Music of Changes (1951), les Music for piano (1952-62) ont été composées grâce à l’usage de divers procédés de « chance-operations ». L’observation et le relevé des imperfections des feuilles de papier sur lequel John Cage écrivait est la principale méthode de détermination des hauteurs du matériau musical. Les pièces 4-84 coexistent indépendamment à la Solo Suite in Space and Time de Merce Cunningham.
Le choix d’enregistrer l’intégralité des Music for piano 4-84 (et non 1-85), en une seule et unique pièce en mode « superposé », vient du simple fait qu’il est écrit dans la partition qu’elles seules peuvent se jouer toutes ensembles à la suite et / ou « overlapped » par un ou plusieurs pianistes jouant en même temps.
D’autre part, les conditions de production et la technologie utilisée au studio d’enregistrement étant une extension de ce que nous sommes, l’idée de remplacer les pianos par ce seul et unique instrument nous a conduit vers ce projet discographique.
L’intérêt de ce disque est donc de pouvoir faire entendre ces 80 pièces en une, dont les strates successives et superposées de l’enregistrement ouvrent à une dimension sonore nouvelle émergeant d’un tissage polyphonique tendant à créer des écarts et à concilier singulièrement les différentes structures temporelles, le matériau musical trouvé et le geste instrumental à l’éruption de l’instant.
Les 80 pièces sont réparties en 5 groupes hétérogènes (n°4-19, 21-37, 38-52, 53-68, 69-84) et une pièce isolée (n°20). Les groupes de pièces peuvent se superposer. La pièce n°20 fait figure d’exception. Impossible à superposer, elle peut néanmoins se jouer en amont ou en continuité des autres.
Ces pièces se jouent dans un cadre temporel externe défini et adopté à l’avance en référence aux indications de Cage, qui, dans cet agencement, est le temps donné T de la capacité du disque qui est de 70 minutes.
De ce cadre temporel T est déduit en premier lieu le temps (x) de l’enregistrement de la pièce n°20 qui se place alors, après un tirage au sort au Yi-King, en amont du corpus polyphonique.
Le plan de la structure temporelle interne se fait en fonction des temps obtenus lors des séquences d’enregistrements de chaque groupe de pièces dont les différentes places au sein de (T-x) sont également déterminées et superposées selon le procédé des « chance-operations ».
De par leur commune liaison à l’aléatoire et aux espaces ouverts des différentes sensibilités et du dispositif de réalisation, structure et texture se combinent alors, par effet de contrainte et de façon mobile, dans des cheminements et rapports interstitiels singuliers. C’est une façon de prendre en compte l’imprévu et instituer l’accueil de l’inconnu et l’indétermination comme autorité sans auteur, chère au compositeur.
Ainsi, bien que John Cage en ait écrit précisément le mode d’emploi et relevé le matériau musical trouvé (les imperfections du papier), le résultat final de cet enregistrement est non seulement une œuvre unique à la fois nouvelle, complexe et précise mais aussi extrêmement surprenante car impossible à prévoir.
Un accueil de l’altérité.